Le Domaine Administratif

2023.08.02 - 12:56
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  LImâm Alî a inauguré sa politique administrative par deux actions:

1)- La destitution des gouverneurs des provinces nommés par Othmân. Il sen est expliqué ainsi:

 

«... mon regret est grand de voir cette Umma dirigée par ses impudents et ses débauchés qui accaparent pour eux les biens de Dieu; qui asservissent les serviteurs de Dieu; qui font la guerre aux bons fidèles; qui choisissent le parti des scélérats. Il y a parmi eux quelquun qui a bu devant vous ce qui est prohibé et qui fut fouetté pour cela selon code pénal islamique; et dautres qui ne sétaient convertis à lIslam quaprès avoir été payés».(35)

 

Othmân sétait rapproché, en effet, de ceux qui avaient été éloignés ou bannis par le Prophète (P). Ainsi, il a fait revenir à Médine, son oncle al-Hakam Ibn Umayya que le Prophète (P) avait chassé et que lon avait surnommé, de ce fait, «le rejeté du Messager de Dieu». Il a aussi donné refuge à Abdullâh Ben Saad Ben Abî Sarh qui avait été condamné à mort par le Prophète (P).

 

Puis il la nommé Gouverneur dEgypte comme il a nommé Abdullâh Ben Omayr Gouverneur de Basrah. Ce dernier a provoqué dans sa province des troubles qui ont suscité la colère des fidèles contre lui et Othmân.(36)

 

2)- Leur remplacement par des gouverneurs connus pour leur religiosité, leur pureté et leur fermeté. Ce qui justifiait cette mesure, cest le fait que lImâm Alî avait constaté que lessentiel des plaintes formulées par les Musulmans concernait les émirs et les gouverneurs. Il estima donc que leur remplacement simposait. A leur place, il a nommé Othmân Ben Hanif, Sahl Ibn Hanîf, Qaïs Ben Saad Ben Abâdah et Abî Moussa al-Achari, respectivement Gouverneur de Basrah, Damas, Egypte et Kûfa, les plus grandes provinces de lEtat islamique de lépoque.

 

 

LImâm Alî était dautant plus déterminé à mener à son terme cette réforme administrative, quil avait récusé le conseil de beaucoup de personnes - dont al-Mughîrah Ben Chobah - de reconduire le mandat des Gouverneurs nommés sous le Califat de Othmân. Lorsque Talha et al-Zubair lui ont demandé de les nommer respectivement Gouverneurs de Kûfa et de Basrah, lImâm refusa leur requête avec courtoisie.

 

Ce refus les a poussés à exercer des pressions diverses sur lImâm. Ils nont pas hésité à mettre en doute sa direction, à revenir sur leur serment dallégeance, à laccuser publiquement dêtre derrière lassassinat de Othmân (oubliant quils avaient eux-mêmes poussé les gens à se révolter contre lui) et même à revendiquer le retour au Choura pour que les Musulmans désignent eux-mêmes un Calife. Ils sont allés jusquà prétendre quils avaient prêté serment dallégeance à Alî sous la contrainte et que de ce fait leur serment nétait pas légal. (37)

 

La décision de lImâm décarter Talha et al-Zubair, respectivement de la contrée de Basora et de celle de Kûfa - décision considérée par beaucoup comme un signe de myopie politique - apparaît très adéquate lorsquon se rend compte que lImâm, en agissant ainsi, a choisi la moins risquée des quatre solutions qui se présentaient à lui : (38)

 

- La première solution : Cétait de les nommer respectivement gouverneurs de Basrah et de Kûfa, comme le recommandait Abdullah Ibn Abbas (39). LImâm a refusé une telle nomination parce quil savait que dans ces deux villes, Talha et al-Zubair pouvaient trouver les hommes et largent dont ils se serviraient pour attirer les insensés, moyennant profit, plonger les faibles dans le malheur et vaincre les forts par le pouvoir, ce qui leur permettrait de devenir plus forts quils ne lauraient été sils nétaient pas gouverneurs et se retourner, grâce à cette force, contre lImâm.

 

- La deuxième solution: Cétait de manoeuvrer en vue de provoquer une brouille entre Talha et al-Zubair pour les séparer et les empêcher dentreprendre une action commune contre lImâm. Pour ce faire, celui-ci aurait dû se montrer généreux envers lun et hostile envers lautre. Mais par cette manoeuvre, il risquerait de voir le premier se retourner contre lui quand les circonstances le lui permettraient, le second fuir, là où il trouverait des avantages, cest-à-dire à Damas, pour monnayer son appui à Muawiya - comme lavaient fait beaucoup dautres - ou rester à Médine en gardant contre lImâm une rancune dissimulée.

 

- La troisième solution : Cétait de leur refuser la permission de quitter Médine pour la Mecque qui leur a servi de point de départ vers Basrah doù ils ont organisé une razzia contre lImâm. Car celui-ci avait en effet deviné leur malveillance lorsquils lui avaient demandé lautorisation daller à la Mecque pour faire le pèlerinage, puisquil leur a dit, tout en leur donnant satisfaction : « Ce nest pas le pèlerinage qui vous meut, mais la trahison ».

 

Mais si lImâm les avait emprisonnés sans avoir une preuve tangible de leur malveillance, il aurait suscité du moins la sympathie des gens envers eux, sinon des soupçons, chez ses propres partisans, sur sa politique à leur égard.

 

Parmi les griefs injustifiables formulés contre sa politique administrative, cest surtout le fait davoir démis Muawiya de sa fonction de gouverneur de Damas, et davoir accepté lors de sa guerre contre lui, à Saffine, le recours à larbitrage.

 

Or, on sait que lImâm Alî na accepté le recours à larbitrage que lorsquil a constaté que ses soldats commençaient à bouder la guerre, et à être déchirés par des désaccords qui risquaient de provoquer une confrontation armée entre les partisans et les adversaires de larbitrage. Ils sont allés jusquà menacer de tuer lImâm comme on avait assassiné Othmân. Ils ont insisté pour que lImâm rappelle al-Achtar al-Nakhaï qui poursuivait vaillamment ses ennemis sur-le-champ de bataille dans lespoir dune victoire prochaine.

 

Quant aux historiens qui ont donné raison à lImâm pour son acceptation de larbitrage, mais tout en lui reprochant davoir accepté de se faire représenter par Abî Moussa al-Achari, alors quil savait que celui-ci était faible et hésitant, ils oublient tout simplement que la personnalité de son représentant lui fut imposée, tout comme était imposé larbitrage et que le résultat aurait été le même - quelque fût son représentant - al-Achari, al-Achtar ou Ibn Abbas. Car dans tous les cas Amr Ibn al-As ne se serait jamais prononcé contre Muawiya ni pour le Califat de Alî.

 

Et si lon admet, comme certains avaient tendance à le croire, que Ibn Abbas ou al-Achtar eussent pu influencer Ibn al-As où lamener à prendre parti pour Alî, Muawiya naurait jamais cédé ni désarmé, puisquil était entouré de partisans et darrivistes avides qui auraient mal pris, tout comme lui, une solution aussi défavorable.

 

Par conséquent, les détracteurs de lImâm ne peuvent faire valoir une solution meilleure que celle à laquelle il fut acculé et quil a choisie à contre-coeur, peu importe quil fût contraint à cette solution tout en en connaissant le défaut, ou tout simplement parce quil savait quil aurait eu le même résultat sil en avait choisi une autre parmi celles qui se présentaient à lui.

 

Quant à la destitution de Muawiya par lImâm Alî, elle a capté lattention des historiens et occupé une place de choix dans leurs livres. Pour eux, «Muawiya est une nécessité fatale dans lhistoire arabe, puisquil constitue une des étapes de lédification de lEtat et de son enracinement, et que cest un homme dEtat et un homme politique ingénieux qui a suivi une politique réaliste très habile en comparaison avec la politique noyée dans lidéalisme moral choisie par son adversaire, lImâm Alî».(40)

 

Maintenant on peut poser la question de savoir si lImâm Alî pouvait se permettre de reconduire Muawiya dans ses fonctions à Damas, et si une telle décision eut été adéquate ?

 

Abbas Mahmoud al-Aqqad répond que « l’Imâm ne pouvait reconduire le mandat de Muawiya pour deux raisons. Dune part, parce quil avait lui-même conseillé à Othmân à plusieurs reprises de le destituer. Et dautre part, la présence de Muawiya ainsi que dautres exploiteurs comme lui dans lentourage de Othmân, constituait le principal grief formulé contre le précédent gouvernement. Si lImâm avait reconduit Muawiya, quelle aurait été la réaction de ses partisans ?! Et celle des Musulmans en général ?!»

 

Même si lon supposait quil avait pu changer dopinion sur Muawiya, comment aurait-il pu négliger lopinion des révoltés(41) qui lui avaient prêté serment dallégeance et lavaient choisi comme Calife pour quil changeât la situation et le régime de Othmân, en le remplaçant par un régime nouveau?! Et même si lon admettait que lImâm avait réussi, par une ruse quelconque, à renouveler le mandat de Muawiya, une telle solution aurait-elle été la voie la plus sûre pour avoir la paix?!

 

Non, probablement pas. Car les comportements de Muawiya montraient clairement quil nétait pas homme à se contenter de sa fonction de gouverneur de Damas tout au long de sa vie. Dans cette Province, en effet, il agissait comme sil voulait fonder son propre Etat et le garder pour ses descendants. Il sétait entouré de princes, avait acheté des partisans, sétait doté dune force et dune fortune afin de pouvoir tenir en attendant la première occasion qui lui permettrait de parvenir à ses fins. Or, quelle occasion inespérée que celle de lassassinat de Othmân! Il la justement saisie et prétextée pour crier et réclamer vengeance.(42)

 

Quant aux succès de sa politique, ils ne sont dus ni à son habileté dans les manoeuvres et les ruses, ni à son recours à tous les moyens fourbes au niveau desquels lImâm Alî était à cent lieues de sabaisser, mais aux différences de nature dans lattitude de chacun des deux hommes (43), ainsi quaux circonstances sociales favorables à Muawiya.

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