Le refus de Imam de transiger était-il un entêtement ?

2023.04.25 - 12:55
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Il nous reste à souligner et à expliquer un phénomène important dans la vie de lImâm. Il sagit du refus catégorique, opposé par lImâm depuis son accessionau pouvoir jusquau jour de son assassinat, de toutes formules et solutions de compromis en ce qui concerne léradication de la déviation. Il ne lui est jamais venu à lidée de transiger sous quelque forme que ce soit - avec la déviation au détriment de la Umma.

 

Cette attitude de refus de toutes solutions de compromis a capté lattention de la plupart des historiens, dans le passé et à présent. Mais les conclusions quils en ont tirées trahissent une méconnaissance des faits historiques et une interprétation erronée de la vérité de la nature de lattitude de lImâm.

 

Nous allons à présent analyser cette attitude et laborder sur deux plans : politique et jurisprudentiel :


1- Sur le plan politique, certains contemporains de lImâm pensaient que la façon dont celui-ci traitait les questions gouvernementales relevait dune sorte dentêtement, conduisait par conséquent à compliquer la situation, provoquait des difficultés dans son Etat, et aggravait les problèmes, ce qui rendait, en fin de compte, lImâm, incapable de les résoudre, le détournait de ses principales occupations administratives et gouvernementales et lempêchait de mener à bien son expérience.

 

On peut citer à cet égard, lexemple de Mughîrah Ibn Chaaba qui était allé voir lImâm pour lui proposer de confirmer Muawiya dans son poste de Gouverneur de la Syrie jusquà ce que la situation se stabilise, ce qui pourrait amener le gouverneur en question à se soumettre et à prêter serment dallégeance, ou de ne le destituer que lorsque tous les abstentionnistes et opposants dans les différentes parties de lEtat auraient prêté serment dallégeance à lImâm. Mais celui-ci a refusé toute forme de compromis, réaffirmant sa ligne politique à travers les propos suivants :

 

«... mon regret est grand de voir cette Umma dirigée par ses impudents et ses débauchés qui se passent les biens de Dieu les uns aux autres, qui asservissent les serviteurs de Dieu, qui font la guerre aux bons fidèles, qui choisissent le parti des scélérats. Il y a parmi eux quelquun qui a bu devant vous ce qui est prohibé et qui fut fouetté pour cela, selon le code pénal islamique, et dautres qui ne sétaient convertis à lIslam quaprès avoir été payés ». (1)

 

Et à propos de la restitution des biens usurpés de la trésorerie, il a dit : « Tout bien appartenant à Dieu, donné "par Othmân" doit être restitué à la trésorerie. Car rien ne peut abolir le bon droit. Celui qui supporte mal le bon droit, linjustice lui sera encore plus insupportable ».

 

Cest justement à ce propos que certains contemporains de lImâm ainsi que quelques historiens ont fait remarquer que lImâm aurait pu réaliser un succès certain et une victoire sûre, du point de vue politique, sur ses ennemis, sil avait accepté de transiger et de se prêter à ce type de compromis.

 

2- Sur le plan jurisprudentiel nous abordons ce sujet à travers une notion jurisprudentielle commune, appelée al-Tazâhum (littéralement « bousculade » ou « conflictuel »), qui signifie que « le plus important » doit primer « l’important ».

 

En dautres termes, si laccomplissement dun devoir des plus importants dépend dun acte prohibé, il nest pas permis de sabstenir daccomplir le premier en prétextant la prohibition du second. Il faut accomplir toujours le devoir le plus important. Par exemple, si le sauvetage dun noyé dépendait de la traversée dun terrain dont le propriétaire interdit son accès, le Saint Législateur nous autorise à traverser le terrain même sans le consentement du propriétaire.

 

Car lacte de sauvetage est plus important que linterdiction daccès au terrain privé sans le consentement du propriétaire.

 

Ceci est logique du point de vue jurisprudentiel, car la règle veut que si lobservance dun devoir dépend dun acte prohibé et que le motif du premier lemporte sur celui du second, il est indispensable détablir la primauté du « devoir » sur lacte « prohibé ».

 

Partant de cette notion jurisprudentielle et de cet ijtihad(2) politique, nous pouvons poser la question suivante sur le phénomène dont nous traitons et que nous analysons ici: pourquoi lImâm navait-il pas appliqué cette règle jurisprudentielle sur ses comportements et son attitude politique?!

 

Les opposants à la politique de lImâm disaient, à ce sujet, que si celui-ci avait su exploiter à son profit, cette règle jurisprudentielle en lappliquant, et sil avait déployé ses efforts dans la direction du devoir majeur, en loccurrence: maîtriser le commandement de la société islamique et œuvrer en vue de réussir à travers elle, de grandes réalisations pour lIslam, même au prix de la tolérance de quelques prohibitions - tolérance justifiée par le devoir majeur et admettant des justifications jurisprudentielles - il aurait pu ouvrir aux Musulmans, en maîtrisant les rênes du pouvoir, les portes du bonheur et du bienfait et instaurer pour eux le régime de Dieu sur la terre.

 

Là, on peut préciser, un peu plus, la question que nous venons de poser à savoir pourquoi lImâm ne sétait-il pas orienté vers la réalisation de lobjectif majeur, en reconduisant Muawiya - dans ses fonctions de Gouverneur de la Syrie et en oubliant les biens volés à la trésorerie par les Omayyades - fût-ce provisoirement ? Pourquoi na-t-il pas adopté une telle attitude en donnant à la notion de «tazâhum» dont nous avons parlé, une application vivante?

 

Pour répondre à ces questions, signalons que la règle jurisprudentielle en question nest pas applicable sur les attitudes de lImâm Alî pour les deux raisons suivantes :

 

1- Lun des plus importants objectifs que lImâm a tracés pour sa ligne politique était le renforcement de son régime dans une région précise de la nation islamique, en loccurrence lIraq qui renfermait un grand nombre de partisans et de bases populaires, acquis intellectuellement, spirituellement et affectivement au régime de lImâm Alî, même sils nétaient pas profondément et réellement conscients du contenu de son message.

 

Pour réaliser cet objectif prioritaire, il lui fallait former sur ce terrain propice, une avant-garde consciente et capable de protéger le Message et ses objectifs, de le sauvegarder et le propager à travers lensemble du monde islamique et pendant des générations - ce qui est naturel pour tout Etat qui se veut doctrinal et missionnaire. Or, lImâm aurait-il pu créer une telle avant-garde dans une ambiance imprégnée de compromis (même si ces compromis étaient légalement admis et conformes aux clauses de «Tazâhum»)?

 

LImâm était convaincu de la nécessité de préserver la pureté et la limpidité de son opération éducative (en vue de constituer une armée doctrinale). Pour cela, il tenait à en donner lexemple, par son action, en se présentant comme un dirigeant qui ne cède pas aux tentations ni ne se prête aux compromis.

 

2- LImâm a accédé au pouvoir à la suite dune révolution contre Othmân. Cest à dire que la Umma islamique vivait dans un esprit tellement révolutionnaire, que Othmân fut assassiné et son régime déchu, parce quil avait dévié de la voie du Coran et de la Sunna du Prophète (P).

 

Cet élan passionnel et exalté, qui prévalait dans un moment de lhistoire de la Umma, fut ravivé et exploité pertinemment par lImâm Alî pour renforcer son régime et faire admettre les mesures révolutionnaires quil a prises plus tard, en vue de faire face à la complexité des problèmes de la société.

 

Là, une autre question se pose et s’impose : quel sort attendrait lImâm, dans cette atmosphère électrisée par la passion et lélan révolutionnaire, sil avait laissé linjustice intacte, et sil nétait pas intervenu pour y mettre fin par une action de réforme radicale ?

 

Ou sil avait gardé le silence sur les agissements arbitraires et incontrôlables des gouverneurs lors du précédent califat ?

 

Ou encore sil sétait tu sur les actes de Muawiya ?

 

LImâm aurait-il mieux fait dattendre que les passions fussent apaisées et que ce courant psychologique passionnel et effervescent fût éteint ?

 

Si lon admet une réponse positive, rien ne prouve que dautres circonstances propices surviendraient pour que lImâm puisse prendre les mesures qui simposaient. La meilleure conjoncture politique pour faire passer les mesures de changement, était létat révolutionnaire que la Umma islamique vivait lors de sa révolution contre Othmân.

 

Il était donc impossible, sous quelque prétexte que ce fût, de reporter les mesures prises par lImâm, à une date ultérieure où ce flambeau révolutionnaire embrasé serait éteint et où les passions seraient apaisées.

 

Notes :

_____________________________________________________

1- "Nahj al-Balâghah", Tom. I, p. 59 et "LExplication de Nahj al-Balâghah", pp. 269-270.

2- Terme islamique signifiant effort personnel (dun savant en matière de fiqh) en vue dinterpréter les lois religieuses

 

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